13 June 2021
Hypermodernité tardive à l'aune de la pandémie
Une parenthèse historique ou des recompositions sociales durables ?
La pandémie de la COVID-19 est un évènement unique dans l'histoire européenne de par ce qu'elle a engendré comme contraintes sur la population.
Tous les gouvernements européens ont suspendu, ou fortement réduit, les libertés individuelles afin de préserver à la fois leurs systèmes hospitaliers fragilisés et la vie de personnes âgées. Les parlements ont été renvoyé au second, voire troisième plan de la vie politique, grâce à "l'état d'urgence", aux "pouvoirs spéciaux" ou encore au "régime d'exception" que les gouvernements ont adopté. Les médias, au nom de leur responsabilité "en temps de guerre", se sont rangés et se sont transformés en épouvantails, effrayant la population par des discours affolants et des reportages aux soins intensifs, tous les jours, 18 heures sur 24, espérant augmenter l'adhésion de cette population aux mesures des gouvernements. Les marchés aussi ont reculé au départ, même si certains ont repris des couleurs et augmenté ensuite. Des secteurs entiers menacent de disparaître, généralement liés aux loisirs et aux plaisirs des individus, si bien que les états ont dû geler les faillites. Les experts ont été invités à prendre la seconde, voire la première place de la gestion de la pandémie, exposant leurs points de vue fragiles et leur orgueil à la planète entière, expliquant une chose puis son contraire, tous les jours, pendant des mois. Cette masquerade de scientifiques est venu fragiliser la confiance du public envers la science et sa pertinence, engendrant des taux records de refus de vaccinations au début de la campagne, pourtant la seule voie de sortie. Ainsi, les acquis de la modernité sont si ébranlés qu'il est raisonnable de se demander s'il s'agit là d'une parenthèse historique ou le début d'une nouvelle ère ?
Hypermodernité tardive
Depuis que la consommation s'est rendue disponible à tous, la société dans son ensemble s'est mise à déconstruire, comme les classes bourgeoises auparavant, ses traditions et ses normes pour en favoriser d'autres, dont les aboutissants doivent être le plaisir, le bien-être et le bonheur - nouveau graal -, et les tenants ses propres préférences et émotions. "La réalisation de votre bonheur est le seul but moral de votre vie", écrivit Ayn Rand. L'individu construit sa vie pleinement et devient de plus en plus responsable, de ses réussites et échecs, de son passé et avenir, et surtout du plaisir présent. Et c'est aussi grâce aux nouvelles technologies de communication, le téléphone, que l'individu commence à offrir son temps et sa jeunesse, devenue par ailleurs une obsession, à un immense marché de l'affectivité et de l'activité. Face à ses exigences et modes de vie nouveaux, les institutions changent, la loi relâche et la dérégulation des vies, et in extenso des marchés, est entamé. La démocratie répond ainsi presque magiquement aux besoins d'individus de plus en plus individualisé, ou autonomisé, tentant en réalité de rattraper et séduire des citoyens qui se désengagent de la grande politique au profit de leur propre jardin. Dans ce déferlements des possibles, les technologies évoluent plus vite encore et permettent plus facilement à l'individu de s'affranchir des normes et des autorités, augmentent les libertés, créant de nouveaux territoires virtuels hors de la vue des états et des médias, mais bien dans la gueule des entreprises. Les progrès des sciences de la santé sont également tels que ce n'est plus de mourir ou de souffrir que l'individu craint, c'est de vieillir. L'individu s'occupe de plus en plus de son temps mais le temps continue de passer, au grand malheur de l'individu, qui exige ainsi des soins de rejuvenation, ce que les marchés ne manquent pas de créer. Ces marchés, le capitalisme, ont réussi à vendre toujours plus de libertés et de plaisirs aux individus, et continuent à mesure que les technosciences évoluent, en personnalisant toujours plus leurs offres de produits et services; dans ce monde tout le monde est unique. L'individu est ainsi dit aujourd'hui "hyperconsommateur", "hyperconnecté", "hyperinformé" dans un monde "hypercapitaliste" et "hypermondialisé".
Cet individualisme jouisseur, exacerbé tant par la loi et le capitalisme que les nouvelles technologies, est bien une modernité en le sens qu'elle s'appuie et continue de nourrir un culte de la liberté, de l'innovation et du progrès. Les droits de l'homme et la démocratie sont devenues des valeurs faisant l'unanimité, de même que la réalisation et la libération des individus est au coeur des préoccupations tant politiques que sociétales. Cependant, la foi dans les idéologies et grandes politiques, appuyant leurs promesses sur des sciences et techniques, a peri dans les tempêtes de sang du XXème siècle et a empreint le monde de vestiges immondes que l'individu préfère escamoter. Aujourd'hui, il n'est plus possible de converser de l'avenir et des technologies sans que 1984 d'Orwell ne soit cité. Plus que jamais, les lendemains hypertechnologiques font peurs, si bien que la défiance face aux progrès techniques est à la source de mouvements de résistances de plus en plus nombreux. Malgré tout, la science et la technologie continuent de produire des savoirs nouveaux et d'inventer des machines toujours plus impressionnantes, alimentés de milliards chaque année, d'argent public et privé. Des millions de personnes, et chaque année un peu plus, vivent de cette activité, et la promeuvent dans les écoles ou les médias.
Il s'agit d'une modernité traversée de paradoxes.
L'après pandémie, "hyper" et moderne ?
L'hypermodernité tardive, qu'on aurait pu nommer autrement, est annonciatrice d'un nouveau temps, elle est une transition vers une période qui serait marquée par les éléments différenciateurs radicaux au regard d'une hypermodernité précoce. Comme la Renaissance tardive a laissé présager la naissance d'ordres nouveaux, avec les désobéissances nobiliaires plus nombreuses et les idées libérales répandues jusqu'aux coeurs des états, l'hypermodernité tardive laisse présager un futur radicalement différent de notre temps. Cet avenir n'est ni clair ni évident pour autant, et le moment de son émergence encore moins. Il serait même douteux de prétendre que quiconque saurait le prédire. Pourtant, après avoir passé en revue les éléments importants et moins importants constitutifs de l'hypermodernité tardive, nous nous essayons ici à l'exercice burlesque de la prédiction et de la boule de crystal.
À continuer, sur la radicalité des paradoxes (en devenir plus intenses).